PDF Basket
Les mathématiques sont peut-être l’alphabet avec lequel Dieu a écrit l’univers, mais cela ne signifie pas pour autant qu’elles sont parfaites.
«Toutes les affirmations ne peuvent pas être prouvées ou réfutées, même par les mathématiques», déclare David Perez-Garcia, mathématicien à l’université Complutense de Madrid et coordinateur du projet GAPS, qui a été financé par le Conseil européen de la recherche. «En réalité, n’importe quel système de mathématiques où l’on peut faire de l’arithmétique de base comportera toujours des affirmations impossibles à prouver ou à réfuter.»
Pour l’expliquer, David Perez-Garcia évoque l’écart spectral.
L’écart spectral est ce que les physiciens appellent la quantité d’énergie dont un système quantique a besoin pour passer d’un état de faible énergie à un état excité. Selon David Perez-Garcia, cet écart pourrait aider à relever l’un des plus grands défis de la physique quantique, à savoir la classification de toutes les phases possibles de la matière.
«Nous connaissons les trois phases classiques de la matière, à savoir les solides, les liquides et les gaz», poursuit-il. «Cependant, à des températures très basses, où la mécanique quantique est la loi qui régit la physique d’un système, il existe beaucoup plus de phases de la matière, qui sont beaucoup plus exotiques.»
Parmi les exemples de ces phases quantiques de la matière figurent les supraconducteurs, les superfluides, les liquides de spin topologiques et les fractons, pour n’en citer que quelques-uns. «Malgré près d’un siècle de mécanique quantique, nous sommes encore loin de comprendre, ou même de découvrir, les nombreuses phases contre-intuitives de la matière qui sont possibles dans le régime quantique», ajoute David Perez-Garcia.
Une mission mathématique impossible
Étant donné que l’écart spectral est ce qui protège les propriétés quantiques d’un système, les transitions de phases quantiques ne peuvent se produire que lorsqu’il se résorbe. «Il est essentiel de déterminer si un matériau quantique présente ou non un écart spectral pour déterminer les limites et les transitions entre les différentes phases de la matière», remarque David Perez-Garcia.
Le projet GAPS, financé par l’UE, a démontré que l’écart spectral ne peut pas être déterminé, même en recourant aux mathématiques les plus sophistiquées. «Certaines questions mathématiques sont indécidables, c’est-à-dire qu’elles ne sont ni vraies ni fausses, elles sont tout simplement hors de portée des mathématiques», affirme-t-il.
Comme l’explique David Perez-Garcia, le projet GAPS a montré que, même si l’on connaît toutes les propriétés microscopiques d’un matériau, ses propriétés macroscopiques (celles que nous observons avec nos yeux et qui déterminent la phase du système) ne peuvent, dans certains cas, pas être prédites.
«Le problème n’est pas lié à un manque d’instruments précis ou d’ordinateurs suffisamment puissants», note-t-il. «Il s’agit d’un problème de propriétés physiques que nous ne pouvons tout simplement pas calculer.»
En d’autres termes, le problème lié à la détermination de la phase de la matière de n’importe quel matériau quantique donné est insoluble.
Pour chaque négatif, il existe un positif
Mais tout n’est pas perdu. Selon David Perez-Garcia, ce résultat négatif a une contrepartie positive: il prouve l’existence d’une phase totalement nouvelle de la matière.
«Les propriétés de ces nouveaux matériaux prédits dépendent fortement de la taille de l’échantillon, ce qui signifie que ces propriétés changent radicalement à partir d’une taille critique donnée, à savoir une taille qui peut être réglée pour atteindre n’importe quelle valeur souhaitée», explique David Perez-Garcia. «Nous travaillons actuellement sur une proposition visant à synthétiser ce type de matériau dans un environnement de laboratoire, ce qui nous enthousiasme beaucoup.»
De plus, même s’il est impossible de déterminer la phase de chaque système quantique, il est toujours concevable de décrire toutes les phases possibles de la matière quantique. Selon David Perez-Garcia, les réseaux de tenseurs semblent être l’outil idéal pour ce faire. «S’agissant de représentations mathématiques d’un état quantique, les réseaux de tenseurs sont suffisamment flexibles pour représenter tous les états quantiques pertinents de la nature», ajoute-t-il.
Les chercheurs du projet GAPS ont élaboré une théorie mathématique des réseaux de tenseurs pour créer des représentations unidimensionnelles de chaque phase quantique bidimensionnelle de la matière, ce qui les rend beaucoup plus faciles à comprendre et à utiliser. «L’un des résultats très pratiques et inattendus de ces travaux est le recours à des méthodes de réseaux de tenseurs pour combler le manque de confidentialité constaté dans de nombreuses tâches d’apprentissage automatique», note David Perez-Garcia.
Toutefois, une classification complète de toutes les phases quantiques possibles de la matière n’a toujours pas été réalisée. «L’établissement d’une sorte de tableau périodique des phases quantiques de la matière pourrait mener à toute une série de nouveaux matériaux et de nouvelles technologies», conclut-il. «Nous continuons donc nos travaux.»